Trois jours ont passé depuis la mise en ligne de cet album. Durant ce
laps de temps qui nous sépare de la dernière manifestation contre la
loi travail, j’ai comme tout le monde assisté au déferlement de
réactions à l’encontre des nouvelles "violences commises par les fameux
casseurs, en particulier celle du bris des vitres de l’hôpital Necker. Direct Matin a d’ailleurs bien pris soin d’insister sur le fait qu’il
s’agissait du même hôpital qui avait accueilli l’enfant du couple de
policiers assassiné la veille. Le gouvernement n’attendait que ça.
Abondamment relayé par les grands médias, cette nouvelle preuve
irréfutable de barbarie justifiait de pouvoir enfin demander l’arrêt des
manifestations.
Vu de l’intérieur du cortège, ces très regrettables bris de vitre n’étaient pourtant pas grand chose comparé au reste de ce que j’ai pu voir. Car j'ai dénombré bien d’autres victimes de violence que des vitres durant cette longue après midi, et ce n’étaient pas des enfants malades.
Vu de l’intérieur du cortège, ces très regrettables bris de vitre n’étaient pourtant pas grand chose comparé au reste de ce que j’ai pu voir. Car j'ai dénombré bien d’autres victimes de violence que des vitres durant cette longue après midi, et ce n’étaient pas des enfants malades.
Des centaines de milliers de travailleurs ont en
effet traversé le pays pour venir marcher ensemble, et crier encore
leur colère face à la loi travail. Ces citoyens de tous âges, issus de
secteurs d’activité aussi divers que l’industrie portuaire, le cinéma
documentaire ou la police (oui, la CGT police était du côté des
manifestants), ont défilé en très grand nombre, et ce malgré le mépris,
et le refus de dialogue d’un gouvernement figé par son obsession de se
montrer intraitable.
Quelques différences étaient visibles par rapport
au début du mouvement cependant : désormais, tout le monde avait du
citron, un foulard, éventuellement des lunettes. Une saxophoniste
arborait même fièrement et avec humour un masque à gaz. Tous
partageaient un même but : parvenir à la destination accordée par la
préfecture de police, l’esplanade des Invalides.
Pourtant, la plus grande
partie d’entre eux n’est pas arrivée à destination. Car en cours de
route, juste derrière moi, s’est soudainement et sans raison apparente
déroulé un cordon de CRS, scindant net le cortège, empêchant des
centaines de milliers de personnes d’avancer. Ceux, dont j’étais, qui
avaient déjà franchi cette ligne quand la barrière s’est dressée, se
sont alors retrouvés dans une immense zone de non droit s’étendant
jusqu’à la place des Invalides quelques centaines de mètres plus loin.
La taille d’un quartier, ceinturé par d’interminables cordons de CRS.
Derrière la ligne, les syndicats ont alors fait patienter les
manifestants. Longtemps.
Des négociations ont été entamées, afin de
demander à la police dans quelles conditions le cortège pourrait
terminer sa marche. Des chants se sont élevées, les mêmes déjà entendus
auparavant : « nous avancerons ! », « laissez-nous passer !», « nous
avons le droit de manifester !». La colère est montée dans les voix. Et
soudain, sans que rien ne nous y prépare, les policiers ont tiré leurs
grenades dans la foule, plusieurs fois, de part et d’autres. Autour de
moi, des personnes qui attendaient calmement que leurs collègues bloqués
les rejoignent en ont vu atterrir à leurs pieds. Le genre de mauvaise
surprise dont on préfèrerait se passer. On a couru, et on a crié notre
incompréhension. Dans le cortège, des manifestants calmes jusqu’alors,
ont tenté de forcer le passage. Nouveaux tirs, accompagnés de coups de
matraque.
Nous sommes alors partis de l’autre côté, vers la place. La
première chose que nous y avons aperçu était ce groupe de policiers
protégeant le Crédit Agricole. On aurait cru une blague. D’ailleurs l’un
d’entre eux riait. Peut-être a-t-on le même sens de l’humour... Non en
fait je ne crois pas. Si l’objectif était d’assurer la sécurité, quel
curieux sens des priorités.
Bien sûr, il y a eu des blessés dans les
affrontements qui ont eu lieu autour du canon à eau sorti pour
l’occasion. L’un d’entre eux, dans un sale état, a d’ailleurs été
embarqué devant moi, porté par des CRS (Je n’ai pas pris cette photo, on
peut en penser ce qu’on veut). Une femme qui le suivait alors du regard
me dit que ces derniers en avaient fait un punching-ball quelques
instant auparavant. Alors que la BAC passait en courant à côté de nous,
des manifestants erraient, un peu hébétés, à la recherche d’une issue.
J’ai reconnu le visage de gens déjà entrevus place de la République,
mais j’ai aussi entendu des accents de divers régions de France. C’était
à ne pas y croire. Effarés, indécis, nous avons essayé de revenir vers
le cortège. Du gaz, systématiquement. Des petits groupes de
syndicalistes se sont alors formés ici et là, appelant au calme, à
attendre, à ne pas provoquer plus de violence. Etait-il réellement
inconcevable qu’à ce moment précis, j’ai pu avoir peur des forces de
police ? Sous prétexte de l’immense menace qu’aurait constitué une
infime proportion de manifestants violents, la seule réponse à donner
était-elle forcément d’user de la force contre la manifestation dans son
intégralité, quitte à y étendre encore plus la violence ? Ne fallait-il
pas au contraire l’accompagner, la protéger ? Cette question est
purement rhétorique bien sûr, la technique du pourrissement du mouvement
ayant été engagée par les donneurs d'ordre depuis la toute première des
manifestations.
Le président de la République lui-même, en lieu
et place d’un signe d’apaisement, a menacé dès le lendemain de ne pas
autoriser les syndicats à défiler à nouveau, pour raisons de sécurité.
Dans quelle folie se sont engagés François Hollande et Manuel Valls ?
Ont-ils définitivement opté pour l’irresponsabilité, en plus de la
trahison ? Préfèreraient-ils des manifestations sauvages ? Je me
souviens de l’un d’entre elles, contre les attaques d’Israël dans la
bande de Gaza, en juillet 2014. J’avais dû me réfugier avec une
vingtaine de personnes dans un hall d’immeuble pour échapper à une
charge aveugle de CRS (la vidéo est ici : : https://www.youtube.com/watch?v=EPh-O0GFmC0).
Je suis donc d’accord avec le gouvernement sur un point : un
questionnement urgent à propos du travail doit avoir lieu sans délai.
Mais pour moi, il concerne avant tout celui de ces politiques
professionnels, dont le « métier » est de créer ce genre de situation
dans le seul but de sauver leurs tristes carrières. Ce que disent, ce
que font ces personnes au pouvoir en ce moment, n’a décidément
absolument rien avoir avec l’intérêt général qui est censé les guider.
Et à bien considérer les choses, ce constat me paraît beaucoup plus
préoccupant que des bris de vitres.
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